Funambule des émotions

Cristina Escobar œuvre pour raconter ce qui la touche, ce qui malmène la tranquillité de son esprit : les fondements de notre société, les desseins du monde qui nous entoure et les moteurs des hommes qui le font, les sources et conséquences des conflits, des utopies. Elle développe une narration à partir d’objets du quotidien, de dessins, de sculptures et d’installations, mêlant la fiction à la réalité, le quotidien à l’exceptionnel pour s’approcher au plus près de la vérité. a un jeu de funambule, un équilibre savant à doser pour donner à voir plus et plus loin ; un jeu de sens et de contre-sens qui surprend, interroge, confond, bouscule le plus souvent. Elle rompt avec l’attendu et nos habitudes de perception, touche notre conscience avec autant de gravité que d’humour, autant de violence que de poésie.

L’émotion est le catalyseur de ses créations, toujours figuratives, sur le fil de la vie, de la mort, à la recherche de la mémoire individuelle et collective. Ces œuvres témoignent d’une volonté de reconnaissance des libertés bafouées, des vies tronquées, des paroles censurées et des mémoires oubliées. Avec légèreté, l’artiste soulève les frontières (Les couronnes, 2013 ; Lignes de mire, 2013), redessine le monde, sa géopolitique (Full Stop, 2012 ; L’accident, 2012 ; Fire !, 2013 ; Toupie or not toupie, 2012) et nos sociétés en construction (Premières Pierres, 2014 ; Le Lotissement, 2015) ; elle raconte les guerres et les morts inutiles (Trous de mémoire #1, 2012 ; Casques, 2012 ; Machettes, 2012) et interroge l’exil des hommes, les quêtes de l’ailleurs rêvées ou forcées (L’attente, 2012 ; Jeu de ficelles ; 2012, À la recherche du bonheur, 2013 ; Croisières, 2014). Cristina revisite aussi son quotidien, avec ses violences et ses contradictions, sa fragilité (Hommage à Lara, 2009 ; Trous de mémoire #2, 2012 ; Sólo para llorar, 2012). L’humain habite chacune de ses œuvres.

L’artiste plasticienne manie avec élégance matière qui s’impose de manière instinctive par rapport au sujet. La couleur, résumée dans son œuvre au blanc et au noir - choisis pour leur neutralité - finit toujours par renforcer le sujet, acquérir un poids ; elle donne un indice, soulève une ambivalence. La réalisation plastique des créations est toujours extrêmement poussée, soignée, finie : « c’est le chemin le plus court », dit-elle, pour s’adresser à notre esprit endolori et endormi, dont la curiosité est portée par la contemplation de belles choses. Cristina Escobar joue avec le sens des objets, des images et des mots et nous permet ainsi de regarder jusqu’au bout, l’histoire, même cruelle, qu’elle nous présente. Elle nous invite à parcourir ce fil de funambule qu’elle a tiré d’un bout à l’autre du monde, saisit le moment du vertige, où tout bascule, pour attraper notre conscience, faire jaillir le questionnement, et nous réveiller d’un claquement de doigt.
Funambule des émotions.

Texte de Sophie Toulouze / Historienne d’Art.

Biographie

Dès ses débuts à Cuba, son pays d’origine, l’artiste s’est intéressée à des questions de société, tout en recevant une formation académique et travaillant dans le milieu théâtral. De ces deux apprentissages on retrouve la pureté de la ligne et l’intérêt pour l’objet dans l’espace. La suppression parfois de la couleur dans son œuvre bi-chromique éloigne radicalement de l’exubérance de la culture cubaine, l’artiste semble préférer un style minimaliste. L’œuvre de Cristina Escobar est souvent liée au déplacement, au voyage, au temps et aux frontières.

L’enfermement ainsi que le cercle sont des réflexions récurrentes dans son œuvre, dans ses aspects formels et conceptuels. [...] L’apparente perfection cache l’injustice des sujets abordés et contrebalance des propos souvent dénonciateurs. C. Escobar joue ainsi sur les multiples perceptions que peut avoir le spectateur et le trouble suscité par cette beauté plastique.

Extrait du texte de Marie Terrieux pour le catalogue Talents Contemporains de la 7ème édition / Fondation François Schneider, janvier 2019. Marie Terrieux / Directrice de la Fondation François Schneider.